Ce que j’avais pris au début, pour une mobylette qui passait dans la rue en pétaradant, devenait plus assourdissant. Je me suis dit, ce doit être un monstre de la route genre American Truck qui passe. Bon, ici, sur les routes minuscules de la Lozère, ça paraissait improbable. Pourtant, le bruit montait, comme une escouade d’AMX30 sur l’avenue des Champs Elysée un 14 juillet.
Tout le village se retrouva dehors, sur la place devant la mairie, tous ceux qui tenaient debout avec ou sans déambulateur. Nous pensions que notre édile détenait les clés de ce mystère puisque nous lui avions donné celles de la ville.
Pourtant, lui aussi était campé en haut du perron, cherchant de tout côté d’où pouvait bien provenir ce bruit qui allait crescendo. Le curé était là aussi, tremblant de tous ces membres, le bréviaire à la main qui ne lui servait à rien.
Les flammes de l’enfer seraient sorties de la faille qui était en train de séparer la place en deux, nous n’aurions pas été plus surpris. Sous nos pieds, la terre bougeait, se fissurait, se déchirait. Que faire ? Aucune disposition n’a jamais été prise pour faire face à un séisme ! Alors le maire a crié. C’était difficile pour lui de se faire entendre, les gens eux aussi s’étaient mis à hurler après ce moment de sidération. Il lui fallait prendre la direction des opérations. Il eût alors une idée géniale « Tous aux abris » Oui ! Mais lesquels. Déjà les maisons vacillaient, le clocher branlait, la mairie se lézardait.
« Allons tous dans la grande prairie du père Marcel, là rien ne peut nous tomber sur la tête à part le ciel, pas de construction, pas d’arbre, que de l’herbe et quelques moutons. »
Alors nous nous sommes mis à courir, du moins ceux qui pouvaient. J’en ai même vu certains, que je ne nommerai pas ici, balancer béquilles et déambulateur pour prendre leurs jambes à leur cou comme au temps de leur prime jeunesse.
Nous avons tous attendu là des heures et des heures, bien après la fin du tremblement de terre. Le maire nous a dit d’attendre la première réplique, puis la deuxième. Et quand enfin, nous avons pensé qu’il n’y en aurait plus, nous sommes rentrés au village, le spectacle était apocalyptique. Pas de volcan en éruption, pas de lave, pas de Pompéi, mais des maisons ébranlées, des murs renversés, les chemins excavés, le clocher étêté, la mairie ruinée.
Malgré le risque que nous prenions et comme aucune autorité civile ou militaire ne nous avait encore contacté, nous sommes rentrés dans nos pénates constater les dégâts. Quand j’ai poussé la porte, le vaisselier de ma grand-mère renversé, béait de ses portes ouvertes. Par terre gisaient les pièces de mon service de vaisselle, cadeau de noce de ma tante Solange. « Il est à l’image de mon mariage, je me suis dit, réduit en miette ! »
Et je suis ressortie hilare, sans doute le soulagement, la frousse, la nervosité, la joie d’avoir échappé à ce cataclysme.
L'Entille