Où t’ai-je rencontrée ? A la Gare Montparnasse. C’était sur le quai du Paris-Brest. Belle inconnue, je t’avais aperçue te faufilant au milieu de la foule des voyageurs. Dans la cohue, tu émergeais, constamment éclairée par les subreptices éclats de soleil qui caressaient l’enfilade des verrières. C’est comme si ses rayons hâbleurs s’étaient dévolus à t’accompagner partout. Les jeux d’ombre et de lumière augmentaient ton rôle de séductrice dans les méandres de mon cœur chamboulé.
Engoncée dans une robe serrée, mutine, tu trottais de ton petit pas menu ; une ombrelle dans une main et ta petite valise dans l’autre, tu semblais empressée de rejoindre ta voiture. Sur le sol, chacun des claquements de tes talons était un feu d’artifice, un hymne à ma cadence suiveuse et les froufrous qui dépassaient de l’ourlet étaient de l’écume sauvage dans le ressac de ta marche.
Comment t’ai-je rencontrée ? Une de tes mitaines brodées est tombée sur le quai, puis l’autre. Tu semais tes petits cailloux blancs… Même si, en souriant, tu l’as nié, j’ai toujours pensé qu’ils n’étaient pas tombés par hasard ; tu m’indiquais ton chemin… A cet instant, j’aurais tué n’importe quel galant qui m’aurait devancé à l’appel de tes talents. Je les ai cueillis comme on s’empare d’un trésor inestimable et je suis parti à ta poursuite. Dans ton sillage courait un parfum enivrant de violette ; dans la douceur de ta nuque, les rubans de ton chapeau se mélangeaient d’ardeur avec les boucles d’or de ta chevelure. A la répétition de ta marche, ils semblaient danser ensemble une chorégraphie d’envoûtement, comme une baguette de jeune magicienne aux enchantements passionnels…
« Mademoiselle ?... Mademoiselle ?... »
Tu t’es retournée… Le Paradis existe ; sur le seuil du Bonheur, j’en admirais la clé. Je souriais benoîtement ; d’habitude timide et réservé, je m’étonnai de l’affront brutal fait à ton abordage. Cette voix étrange sortie de ma bouche, cette intonation rauque et musicale, cet accent intrépide et caporal, ce n’était pas moi. Par ton sortilège d’Amour, de la chrysalide de l’insignifiante chenille, je naissais papillon… J’écartais les antennes, j’ouvrais les ailes, je m’étirais sur les pattes, je gonflais le thorax, je rentrais l’abdomen…
Chaque parcelle de ton visage était un futur perchoir à l’appel furieux de mes baisers en suspension ; je voulais goûter le miel de tes lèvres, boire à la source de ta bouche, m’enivrer de ta salive farouche. La pâleur de ta peau détonnait avec tes joues rougissantes ; tes regards bleutés, tes quelques grains de beauté, tes dents nacrées, étaient autant de visions extraordinaires qui chaviraient mes sens d’explorateur transi. Sur cette fleur d’oasis, j’avais la soif d’un Croisé quand, enfin, il tient le Graal. J’étais comme un gamin affamé à qui on dit qu’il peut tout manger du gâteau de ses rêves…
Paris-Brest, c’est quoi ? Un trajet, un nom de pâtisserie, une étape du Tour de France, un bête billet de train entre départ et destination ? Pour moi, ce fut le vrai début de ma Vie ; j’abandonnais l’habit casanier de la Routine et ses fermetures sans éclair ; usé de respirer pour rien, j’apprenais à soupirer pour tout et surtout pour toi. Sur ce quai d’aventure, j’aurais pu prendre un bateau, ou un avion, ou une fusée ou n’importe quoi qui puisse m’emporter avec toi, au bout du monde, jusqu’au fin fond de la galaxie profonde…
Tu as reconnu tes gants, tu as souri, tu m’as traité d’élégant et tu t’appelais Marie. Pour ne pas couper cette hallucinante dialyse, je me suis emparé de ta petite valise ! Mais oui, je serai ton porteur, ici et ailleurs ! Je serai ton Pierrot, au boulet de la lune ! Je serai ton héros, ta bonne fortune ! Je serai ton angelot, bien plus fort que Cupidon, ce modeste enfant de cœur, au premier rang de ta tribune !...
Impatient, notre train en partance lançait déjà ses éclaboussures d’escarbilles orangées dans le ciel quand tu as tendu ton billet au contrôleur ; j’ai avancé le mien. Me voyant porter ton bagage, il a simplement dit : « Allez-y, messieurs-dames… » Il avait des dons de divination, ce prêcheur de destination…
Dans notre compartiment, chacun de tes regards curieux éclairait divinement la fenêtre et tous les paysages défilaient en couleur. Je t’observais dans le reflet de la vitre. Dans ces vitraux intemporels, Marie, celle de Notre Dame de Paris, avait bien l’aura ordinaire.
Tous les mots des dictionnaires ne sont pas assez forts pour exprimer ce que je ressentais pendant ce voyage. On pourrait tenter de les mettre les uns derrière les autres, les ajuster dans une configuration imagée, on pourrait les crier ou les murmurer, ils ne correspondraient pas à notre réalité.
On a bredouillé, on a parlé, on a surtout murmuré. Tu allais visiter une vieille tante aux accents bretons et moi, qui ne suis ni parisien, ni brestois, j’embarquais sur un chalutier de pêche au thon.
Mon Amour, à la Saint-Valentin de chaque année et depuis des lustres, nous refaisons le voyage Paris-Brest. Comme si l’on ne se connaissait pas, tu cours après la correspondance et tu laisses tomber ton gant. J’aime savoir à l’avance tout le bonheur de notre avenir et je cours pour ne jamais m’en départir. Avec quelques bises, je récupère ta valise et, sur la banquette, je te compte encore fleurette. A ton côté, les paysages n’ont pas changé ; nous avons traversé la Vie et profité de toutes ses couleurs mirobolantes.
Chaque instant, mon Amour, je loue le Ciel de notre rencontre et si, aujourd’hui, vieux papillon, je connais toutes les fleurs de Paris jusqu’à Brest, c’est sur la tienne qu’amoureusement, je reste…
Pascal.